Crédit: © Tingshu Wang / Reuters

Jésus aux Jeux olympiques de Paris

La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, un événement censé rassembler et unir, a suscité une vive polémique. Au cœur de cette controverse : une représentation artistique audacieuse, une réinterprétation de la Cène de Léonard de Vinci qui a profondément choqué certains spectateurs. Au-delà de l’émotion suscitée, cette polémique soulève des questions fondamentales sur la place de l’art dans la société contemporaine, sur la liberté de création et sur les limites de la provocation artistique.

La Cène : une icône culturelle

La Cène de Léonard de Vinci est bien plus qu’une simple peinture. Elle constitue un véritable pilier de l’histoire de l’art, un symbole profondément ancré dans la culture occidentale et une représentation emblématique d‘un moment clé de la religion chrétienne.

Peinte entre 1495 et 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, cette fresque murale représente le dernier repas du Christ avec ses douze apôtres, un épisode central de l’Évangile selon Jean. Au-delà de son aspect religieux, elle raconte une histoire : l’annonce de la trahison de Judas, la solidarité entre les apôtres, la mélancolie du Christ face à son destin.

La Cène de Léonard de Vinci / Crédit Photo : Wikimedia Commons

Léonard de Vinci a choisi de représenter ce moment crucial avec une maîtrise technique et une profondeur émotionnelle inégalées. La composition est rigoureuse et harmonieuse, les lignes s’organisent autour d’un point central : le Christ. Les visages des apôtres sont empreints de sentiments variés, allant de la surprise à l’angoisse, en passant par la résignation. La lumière joue un rôle essentiel, créant une atmosphère intime et dramatique.

Les lignes de la composition tout entière (rouge) passent par un point de fuite unique (A), sur la ligne d’horizon (orange), situé sur la tempe droite du Christ. En revanche, les lignes de la seule table (turquoise) convergent dans un point de fuite secondaire (B), situé légèrement au-dessus de l’horizon (vert) / Crédit Photo : Wikimedia Commons

L’œuvre de Vinci a eu une influence considérable sur les artistes des générations suivantes. De nombreux peintres ont repris ce thème, chacun y apportant sa propre vision et sa sensibilité. Au-delà de la peinture, la Cène a inspiré des écrivains, des musiciens et des cinéastes.

Par exemple, Renée Cox, une artiste afro-américaine, a créé une version de la Cène où elle remplace les apôtres par des femmes noires intitulé « Yo Mama’s Last Supper », posant ainsi la question de l’identité et de la représentation. Ou encore en multipliant les images de la Cène et en les déclinant dans des couleurs vives, Andy Warhol interroge la notion de reproduction et de consommation de masse.

Pourquoi réinterpréter la Cène ?

La Cène de Léonard de Vinci, par sa force symbolique et sa composition intemporelle, a servi de canevas à d’innombrables artistes qui, au fil des siècles, l’ont détournée, réinterprétée et parfois même subverti. Cependant, on peut se demander pourquoi les artistes sont-ils autant attirés par la Cène ? Les raisons sont multiples :

  • Critique sociale : En détournant une œuvre religieuse, les artistes peuvent exprimer une critique sociale ou politique. Ils peuvent dénoncer les inégalités, les injustices, ou remettre en question les dogmes religieux.
  • Recherche de l’originalité : Dans un monde artistique saturé, les artistes cherchent constamment à se démarquer et à proposer une vision personnelle. Le détournement d’une œuvre célèbre est un moyen de se faire remarquer et de marquer les esprits.
  • Volonté de provoquer un débat : L’art a souvent pour vocation de susciter la réflexion et le débat. En reprenant une image aussi emblématique que la Cène, les artistes provoquent inévitablement des réactions, qu’elles soient positives ou négatives.

Pour de nombreux croyants, ces détournements sont perçus comme une profanation, un manque de respect envers les symboles sacrés et les croyances religieuses. Ils y voient une atteinte à leur foi et à leurs valeurs.

Certains fidèles éprouvent de l’incompréhension face à ces œuvres qu’ils jugent provocatrices et gratuites. Ils ne parviennent pas à en saisir le sens ni l’intérêt artistique.

D’autres, au contraire, accueillent ces détournements avec une certaine ouverture d’esprit. Ils y voient une occasion de redécouvrir leur foi sous un angle nouveau, de questionner leurs propres croyances et de susciter un dialogue interreligieux.

Cas spécifique des Jeux de Paris 2024

La scène de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, représentant une DJ auréolée entourée de drag-queens, a suscité une vive polémique en raison de sa ressemblance avec la Cène de Léonard de Vinci. Plusieurs éléments ont particulièrement choqué le public. Telle l’utilisation de la composition classique de la Cène, avec un personnage central et des figures disposées autour d’une table, crée une référence directe et inévitable. L’auréole, symbole de sainteté, associée à une DJ et à des drag-queens a été perçue comme une profanation et une inversion des valeurs traditionnelles.

La référence à la Cène, un moment central de la religion chrétienne, dans un événement mondial et médiatisé, a amplifié la portée de la controverse.

Thomas Jolly, le directeur artistique de la cérémonie, a défendu son choix en évoquant Dionysos, dieu grec de la fête et du vin. Cette référence à la mythologie grecque suggère une volonté de célébrer la diversité, la fête et la communion, plutôt qu’une intention de blasphémer. Cependant, cette explication n’a pas convaincu tout le monde, et de nombreux observateurs ont continué à y voir une provocation délibérée. Il est difficile de connaître avec certitude les véritables intentions de Thomas Jolly. Peut-être cherchait-il à provoquer un débat, à repousser les limites de l’art, ou simplement à créer une image forte et mémorable. Quoi qu’il en soit, il est clair que son choix a eu un impact bien plus important qu’il ne l’avait sûrement pas anticipé.

Les médias sociaux et les grands médias ont joué un rôle déterminant dans l’amplification de cette polémique. Les images de la scène ont été largement partagées et commentées, suscitant des réactions passionnées et souvent polarisées. Les titres accrocheurs et les commentaires sensationnalistes ont contribué à attiser les tensions et à transformer un événement artistique en un véritable scandale.

En conclusion, les détournements artistiques de la Cène mettent en lumière la complexité des relations entre l’art et la religion. Au-delà de l’émoi suscité, cette polémique invite à une réflexion plus approfondie sur notre rapport à l’art et à la religion. Comment concilier la liberté de création avec le respect des croyances ? Jusqu’où peut-on aller dans la déconstruction des symboles ? Autant de questions qui ne trouveront sans doute jamais de réponse définitive, mais qui méritent d’être posées et débattues.

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