En tant qu’étudiant en médecine à l’hôpital général de N’Djamena, chaque patient que je rencontre laisse une empreinte unique sur mon parcours. Cependant, Hadja, une femme de 37 ans, m’a profondément marqué. Son histoire reflète non seulement la lutte contre le cancer du sein, mais aussi celle de milliers de femmes tchadiennes qui, faute d’accès aux soins, se battent dans l’ombre.
Une vie qui bascule
Hadja est arrivée à l’hôpital après plusieurs mois de souffrance silencieuse. Mère de trois enfants, elle vit dans une zone rurale, loin des infrastructures médicales de la capitale. La masse qu’elle avait détectée au niveau de son sein l’inquiétait depuis longtemps, mais comme beaucoup de femmes, elle avait espéré que ce n’était rien de grave. L’idée même d’un cancer semblait pour elle une fatalité réservée aux autres. Dans son village, les mots comme « mammographie » ou « dépistage » étaient inconnus, et les traditions dictaient souvent la première approche pour traiter la maladie.
Avant de se rendre à l’hôpital, Hadja, comme beaucoup de femmes de son village, avait d’abord cherché une explication spirituelle à sa maladie. Elle s’était tournée vers un marabout, espérant y trouver une solution. Le marabout en Afrique c’est un guérisseur ou un guide spirituel, souvent perçu comme ayant des pouvoirs mystiques. Il est consulté par les villageois pour des maladies qu’ils croient être d’origine surnaturelle.
Le jour où elle est arrivée dans notre service d’oncologie, son regard était empli de peur. Les douleurs étaient devenues insupportables et la masse avait grandi de manière inquiétante. Le diagnostic est tombé comme un coup de tonnerre pour elle: un cancer du sein avancé. En tant que soignant en formation, j’ai observé ce moment où le monde de Hadja s’est écroulé. Ses yeux cherchaient des réponses, mais ses lèvres restaient muettes, submergées par la peur de l’inconnu.
Quand se battre devient la seule option
Les ressources étant limitées, le traitement ne pouvait pas commencer immédiatement. Hadja devait d’abord se battre pour obtenir un rendez-vous, pour les traitements coûteux, pour les trajets depuis son village éloigné jusqu’à N’Djamena. Sa force résidait non seulement dans la bataille contre le cancer, mais aussi dans la lutte quotidienne pour accéder aux soins dans un pays où le système de santé est surchargé et mal équipé.
En tant qu’étudiant en médecine, je me sentais souvent impuissant. Comment lui offrir plus que des soins de base, quand les équipements faisaient défaut et que le personnel était débordé ? Mais à travers tout cela, Hadja a continué de se battre. Son courage me rappelait chaque jour que, malgré les obstacles, chaque vie méritait toute l’attention possible.
Les jours de chimiothérapie étaient durs pour elle. Elle arrivait épuisée, affaiblie par le voyage et par la maladie. Ses enfants, trop jeunes pour comprendre, la soutenaient comme ils pouvaient. Mais c’est cette fatigue immense, mêlée à l’espoir, qui m’a appris l’importance du soutien émotionnel. En tant que soignant, je ne pouvais pas toujours guérir son corps, mais je pouvais au moins être là pour alléger son esprit.
L’impact psychologique
Un jour, Hadja m’a confié que le plus dur n’était pas seulement la douleur physique, mais le regard de ceux qui la voyaient dépérir. Dans son village, le cancer était mal compris. Beaucoup pensaient qu’elle était maudite, et le regard des autres pesait autant sur elle que la maladie. Pourtant, malgré l’isolement, elle continuait de se battre. Sa force intérieure ne venait pas seulement du désir de survivre, mais aussi de son amour pour ses enfants, pour qui elle voulait rester forte.
Au fil des mois, j’ai vu son état fluctuer, parfois mieux, parfois pire. La chimiothérapie l’avait affaiblie physiquement. Ses cheveux tombaient, et elle ne reconnaissait plus son propre corps. Ce changement brutal de son image corporelle la troublait profondément, et c’était un autre combat pour elle : retrouver sa féminité dans un corps ravagé par la maladie.
Les soins palliatifs étant rares et souvent inaccessibles, Hadja devait composer avec cette douleur quotidienne. Les hôpitaux tchadiens ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour offrir un suivi psychologique régulier aux patientes comme Hadja. Pourtant, chaque jour, elle revenait pour ses traitements, toujours déterminée, même si la fatigue marquait son visage.
Ce qui m’a le plus impressionné dans l’histoire de Hadja, c’est sa résilience. Elle savait que le chemin serait long et semé d’embûches, mais elle n’a jamais abandonné. Elle a commencé à parler aux autres femmes de son village, leur disant l’importance de consulter un médecin à la première alerte. Son histoire est devenue un symbole pour toutes celles qui, comme elle, se battent contre la maladie dans l’ombre et le silence.
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Aujourd’hui, Hadja est toujours en traitement. Son parcours est loin d’être terminé, mais elle a transformé son combat personnel en une source d’inspiration pour d’autres. À travers son histoire, j’ai appris que la médecine ne se résume pas aux traitements et aux diagnostics, mais qu’elle est aussi une affaire d’écoute, de soutien et d’humanité.
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